Théodule Ribot l'affirmait déjà à la fin du xixe siècle : étudier les pathologies d'une fonction permettrait de mieux la comprendre. La mémoire bénéficierait donc beaucoup de l'étude des personnes amnésiques. Le psychologue suisse Edouard Claparède avait déjà fait sienne cette idée en 1907, en utilisant la méthode de réapprentissage d'Hermann Ebbinghaus sur une patiente amnésique. Il avait remarqué qu'elle réapprenait plus vite une même liste de mots, sans se souvenir qu'elle l'avait étudiée la séance précédente. Mais ces observations passèrent inaperçues.
Ce n'est qu'à la fin des années 60 que la neuropsychologie cognitive se développa. L'étude des capacités ou incapacités de mémoire des amnésiques a ainsi transformé les théories de la mémoire. Mais qu'est-ce que l'amnésie ?
Le syndrome amnésique classique est la conséquence de lésions cérébrales. Les patients deviennent incapable de retenir les nouveaux événements de leur vie. Ils ne se souviennent plus non plus des événements de leur passé, antérieurs à leur amnésie. Par exemple, pour un patient devenu amnésique le 13 décembre 1999, on appelle amnésie antérograde l'oubli des événements survenus après le 13 décembre, et amnésie rétrograde l'oubli de ceux survenus avant. Malgré ces oublis massifs, les patients gardent des connaissances sur le monde ou sur eux-mêmes tout à fait normales. Ainsi, ce patient amnésique professeur d'histoire qui était encore capable de raconter toute l'histoire du xxe siècle, et qui connaissait encore très bien les prénoms de tout son entourage, sans pourtant se souvenir de ce qu'il a vécu avec eux. Cette différence entre connaissances et mémoire des événements a conduit Endel Tulving à distinguer la mémoire épisodique (celle des événements) de la mémoire sémantique (celle des connaissances). Selon lui, si l'une peut être atteinte et l'autre intacte chez la même personne, c'est qu'elles sont deux entités différentes.
Même si les patients amnésiques ont de très sérieux problèmes de mémoire, ils ne sont pas pour autant tout à fait incapables d'enregistrer de nouvelles informations. Ils gardent des capacités préservées d'apprentissage, mais qui restent non conscientes. Le célèbre patient H.M. décrit par Brenda Milner a ainsi pu apprendre de nouvelles habiletés motrices, mais sans se souvenir des séances d'entraînement. Comme Daniel L. Schacter l'explique dans son livre A la recherche de la mémoire, ces faits étonnants l'ont conduit à proposer la distinction entre mémoire implicite (non consciente) et explicite (consciente).
Il existe une autre sorte d'amnésie, aux causes tout à fait différentes : l'amnésie psychogène. Comme son nom l'indique, elle est la conséquence d'un traumatisme affectif. Les cas sont très rares, mais D.L. Schacter a eu l'occasion d'en étudier. L'un d'eux ne se souvenait plus de rien sur lui-même : ni les événements de son passé, ni son nom ou son adresse. La seule chose qu'il savait était qu'on le surnommait « Lumberjack ». Par contre, il était capable d'enregistrer ce qui lui était arrivé depuis la survenue de son amnésie. Il n'y a donc pas, dans l'amnésie psychogène, une dissociation entre mémoire rétrograde et antérograde, ni entre mémoire sémantique et épisodique. Ce patient manifestait pourtant une capacité préservée de mémoire très particulière : il conservait un îlot de souvenirs préservés, relatifs à une période où il travaillait dans une messagerie, qui était aussi une des rares périodes heureuse de sa vie. L'enquête révéla que c'était à cette époque qu'on l'avait surnommé « Lumberjack ». Cela suggéra aux chercheurs l'interprétation suivante : pour retrouver les événements précis de notre vie, nous avons besoin de « clés d'accès », comme notre nom ou des périodes générales de notre vie. Chez ce patient, seule la clé « Lumberjack » était encore disponible.